Transhuman Space

(critique initialement publiée en avril 2002)

Je viens d'achever la lecture de Transhuman Space (et pas de GURPS Transhuman Space, comme j'aurais pourtant tendance à dire spontanément).
Et le moins que l'on puisse dire, c'est que j'ai des choses à vous raconter !
(j'espère que yahoogroups n'impose pas une limite trop basse à la taille des msg...)

Tout d'abord, pourquoi n'est ce pas un supplément GURPS ?
Bonne question.
Ça a la taille d'un supplément GURPS (sauf le nombre de pages, peu habituel : 208), ça a la maquette d'un supplément GURPS, c'est édité par SJG, c'est présenté sur la page officielle de GURPS... mais ce n'est pas du GURPS : c'est un JdR à part entière. Pour moi, un JdR à part entière, ça contient 1°) des règles du jeu et 2°) éventuellement un contexte de jeu. Or ici, nous n'avons que le 2, sans le 1... Que se passe t'il donc ?
Eh bien, c'est le premier des JdR dits "powered by GURPS" (les prochains devant être GURPS Conspiracy X et GURPS Prime Directive, par les éditeurs respectifs des versions originelles de ces deux jeux, et Hellboy, un JdR SJG sur le comic éponyme). Powered by GURPS signifie que les règles de GURPS sont nécessaires pour utiliser le jeu (selon les cas, il pourra s'agir, soit du seul Basic Set, soit simplement de Lite, soit du Basic Set et de divers suppléments, comme ici où il faut aussi le Compendium I (et où je vous recommande personnellement Bio-Tech, Robots, et la plupart des suppléments signés David Pulver)).
Au vu de cette définition, on se demande carrément pourquoi les suppléments GURPS, les vrais, ne sont pas eux-mêmes "powered by GURPS", mais je laisserai ce genre d'interrogations métaphysiques en dehors de ce msg.

Revenons à Transhuman Space, donc.
De quoi s'agit il ?
D'un contexte hard science dont l'action se situe au tournant des XXIème et XXIIème siècle. L'auteur est le (tristement ?) célèbre David Pulver, dont la réputation de technomaniaque n'est plus à faire. Et il est clair que Transhuman Space (TS pour les intimes) a à la fois les qualités et les défauts des bouquins écrits par cet auteur.

Dans TS, les grandes puissances terriennes se sont lancées à la colonisation du système solaire, de Mercure à Pluton. La Terre a échappé à l'engloutissement par la pollution galopante, le trou dans la couche d'ozone est stabilisé, la troisième guerre mondiale n'a pas eu lieu (Pulver qualifie lui-même son contexte d'optimiste). Les biotechnologies ont énormément progressé, et les nanotechnologies sont employées elles aussi à grande échelle ; ceci différencie nettement TS des précédents contextes hard science, qui soit se contentaient d'une technologie "classique" ordinateurs + astronautique (Deep Space pour Cyberpunk, Terradyne pour GURPS, Jovian Chronicles), soit n'opéraient qu'une timide poussée dans le domaine biotechnologiques (Blue Planet). Voici donc à ma connaissance le premier contexte de JdR hard science dans lequel ces technologies sont développées à ce point (même si, mais c'est une autre histoire, j'attends toujours que Pulver nous ponde un GURPS Nanotech, dans la même veine que Bio-Tech, qui envisagerait les possibilités des nanotechnologies même au delà des cent prochaines années).
Pulver avait déjà été l'un des pionniers de ces aspects de la SF en JdR, avec Ultra-Tech 2 (pour les nanos) et Bio-Tech (pour vous savez quoi), mais ce n'étaient que des "boîtes à outils" pour GURPS ; il nous propose là un exemple montrant comment il a intégré ces technologies dans un contexte de SF.
Les humains "normaux" comme vous et moi sont désormais rarissimes : la plupart des gens bénéficient d'améliorations génétiques, se sont fait implanter un ordinateur dans le cerveau, voire ont un corps doté d'organes ou de membres adaptés à certains milieux de vie (l'apesanteur, sous l'eau, etc...), ou encore ne sont qu'un esprit dans une enveloppe artificielle. On peut aussi incarner des IA (plus ou moins évoluées), ou des êtres biologiques fabriqués artificiellement (les bioroïdes).

Si la réputation de Pulver comme auteur spécialiste de SF (suppléments GURPS variés, contributions à la gamme GURPS Traveller, et même à d'autres jeux, avec par exemple Aliens & Artifacts pour Spacemaster) et de technologie (la trilogie Vehicles / Robots / Mecha, les Ultra-Tech, Bio-Tech, etc...) n'est plus à faire, il me semble par contre nettement moins crédible lorsqu'il décrit les évolutions géopolitiques au cours de son XXIème siècle : décrire un Québec indépendant qui adhère à l'Union Européenne (en compagnie du reste du Canada oriental), par exemple, ça me parait un peu bizarre. Je vous accorde qu'il est natif du Canada et vit ou a vécu dans l'Ontario, et qu'il est donc a priori mieux placé que moi pour faire de la politique-fiction canadienne, mais quand même... (puisque nous sommes entre francophones, signalons au passage que la Wallonie est indépendante, que Montréal est une ville libre, et que la Suisse n'est toujours pas membre de l'UE)

Tant qu'on parle de géopolitique, on déplorera deux absences : d'abord, presque rien n'est dit sur la Russie, qui fut pourtant l'un des acteurs majeurs de la colonisation spatiale ; d'autre part, une carte de la Terre aurait été la bienvenue, en raison des nombreux nouveaux États.

De la carte (ou plutôt, de son absence), passons aux illustrations.
Elles sont toutes signées Christopher Shy, l'auteur en vogue chez SJG actuellement, et comme d'habitude avec lui, elles sont de couleur sombre. Trop sombre à mon goût, puisque le feuilletage du bouquin m'a donné l'impression d'une overdose de gris sombre et de noir (les bords de page gris foncé n'aident pas), et tout ceci rend la lecture pénible à mon goût. Et rappelons que Pulver considère TS comme un contexte optimiste ! Toutes ces ombres me l'ont quasiment fait oublier.

Niveau contenu, on trouve dans TS les chapitres suivants :
- une intro (classique) ;
- un chapitre présentant l'histoire du XXIème siècle ;
- un chapitre présentant les différents astres (naturels ou artificiels) du système solaire ;
- un chapitre "encyclopédique" qui présente successivement les nouvelles technologies, les principaux États terriens, un certain nombre de "memes" (très grossièrement, ce sont des grandes croyances et valeurs intellectuelles), des infos sur les grandes organisations, l'art de la guerre, le crime et la justice ;
- un chapitre sur les personnages, avec quelques nouvelles options, et des templates ;
- un chapitre sur le matos ;
- trois appendices, respectivement consacrés à la création (en termes de règles) de vaisseaux spatiaux, à quelques exemples de vaisseaux, et aux règles de combat spatial ; le premier et le dernier ressemblent à des extraits de Vehicles ;
- un lexique, une biblio et un index.

Le gros reproche que je ferai à TS est qu'en dépit (ou à cause) de la richesse technologique de son contexte, peu d'informations sont finalement données au MJ pour lui permettre d'imaginer (donc de faire imaginer) à quoi ressemble la vie quotidienne en 2100, comment les technologies l'ont transformée, quelles sont les implications de ces technologies dans les différents aspects de la vie, de l'industrie, etc... etc... etc... Bref, j'ai un peu l'impression d'un mitraillage de nouveautés technologiques sans lignes directrices ni rien pour me guider dans leur incorporation, leur présentation, leur mise en œuvre. Il me parait difficile de faire jouer TS sans commettre d' "anachronismes primitifs", tout au moins au début.
C'est d'autant plus dommage que c'est la technologie qui est le point fort de TS. Mais le MJ devra fournir un effort important pour se l'approprier suffisamment bien pour être en mesure de la restituer à ses joueurs. Et j'ai peur que ceux qui ne connaissent rien à la hard science ne se laissent noyer et se découragent devant une telle masse. Peut-être ce défaut sera t'il corrigé dans les prochains suppléments ?

En tous cas, une chose est certaine : le vieux space opera de papa a vécu. Il est désormais obsolète, à ranger au clou, à côté des textes de SF du début du XXème siècle.

Un supplément est déjà paru : Orbital Decay, un scénar ayant pour cadre une station spatiale en orbite autour de la Terre. Je suis en train de le lire, je vous en parlerai bientôt.

(je posterai la suite de mes critiques d'époque de la gamme dans les jours qui viennent, là il se fait tard)